Troyes n°3 : Conférence sur Modigliani
Les Amis des Musées de Troyes. L’association dont je suis membre depuis plusieurs années propose un ensemble de conférences sur des artistes ou des périodes artistiques concernant aussi bien l’Aube que les grands artistes de l’humanité.
L’espace Argence est une nouvelle fois le lieu où se déroulent les conférences. Une fois gravi l’escalier en colimaçon, des panneaux fléchés guident l’auditeur vers la salle « Pause ».
Dans la salle, l’âge moyen est élevé. Je suis un des rares jeunes parmi les têtes au chef blanchi par l’âge ou blondi par le coiffeur. Anne-Lise m’accompagne. Son sourire éclaire la salle sombre.
Le conférencier est un homme de lettres. Maître René Vigo, ancien bâtonnier, cheveux blanchi et verbe puissant, donne sa dernière conférence. Il présente la vie de Modigliani et, ensuite, dans le silence, montre les différentes œuvres dont il a parlé dans un premier temps. C’est le point regrettable de son exposé du 18 octobre 2006. Les phrases suivantes sont le produit de quelques notes, en particulier les phrases flamboyantes de cet homme de lettres…
« Le 12 juillet 1884, à Livourne, Modigliani est le quatrième enfant de la famille. Pendant l’accouchement la maison est saisie par l’huissier. La venue au monde est entre faste et pauvreté : une loi interdisant de saisir des objets sur le lit d’une femme en couche, Eugénia, sa mère, met l’enfant au monde dans un fouillis de chandeliers, couverts, argent et bijoux.
Le surnom du jeune homme est Dedo. Il a un caractère tantôt instable, tantôt exalté. Peut-être reflet de cela, il est souvent malade.
L’éducation se déroule par la famille. Son parent Isaac parle six langues ; A 14 ans Micheli est son professeur qui pratique l’art par touches colorées. Mais la tuberculose interrompt sa formation. Ses études sont poussées à Florence. Il apprécie fortement un sculpteur du XIII siècle représentant les statues avec des têtes ovoïdes. Par la suite, Venise déploie ses splendeurs mouillées pour sa jeunesse. Il s’instruit dans les églises, les musées. A 20 ans Modigliani est beau de la beauté d’un Apollon antique. Il réalise des portraits académiques pour le public, mais, dans ses carnets, il ose des touches osées…
A Paris vit un creuset d’où jaillissent des formes nouvelles et agréables. Dans la capitale Modigliani loue un atelier à Montmartre. Il mène une vie de bohême, portant toujours une cravate de travers. Au sein de la ville lumière, Modigliani doute de ses avant-gardes préraphaélites. Toulouse Lautrec le déconcerte par sa ligne. Le cubisme le laisse perplexe à cause de sa géométrie cérébrale trop éloignée du sensible.
Il réalise quelques essais dans la sculpture, mais la fragilité de ses bronches ne supporte pas la poussière dégagée de la pierre. Il entre alors dans un vif désarroi. Il cumule alors les excès de la boisson et les abus du « chanvre indien ». Il mène une vie de « chien mouillée », mais avec grand esprit. Picasso est agacé par les palabres fanfaronnantes de Modigliani. Max Jacob soutient Modigliani, ainsi que l’amateur d’art et docteur Paul Alexandre. Il évolue au sein d’un phalanstère d’artistes.
Mais Modigliani est ivre et drogué. Les crises atteignent une telle intensité qu‘il retourne à Livourne, auprès de sa mère aimante. Malade, mais progressivement guéri, l’amour et les soins de sa mère le veille.
Modigliani, désormais approchant les 30 ans, traverse la Seine comme on franchit le Rubicon. Il va à Montparnasse et travaille avec le feu sacré. De cette période date le violoncelliste, avec ses déformations caractéristiques et sa composition en arabesque.
L’art nègre nourrit son inspiration. Brancusi le soutient. Modigliani tente à nouveau la sculpture, mais elle l’épuise.
Une femme entre dans sa vie comme un torrent de flammes. Béatrice « Hastings », anglaise, poétesse. Il mène avec elle une vie frivole, agitée. Béatrice est excentrique : elle entre dans les tavernes habillées en bergère de l’époque de Louis XV. Elle est son aînée de 5 ans.
Les portraits de Modigliani dessinent désormais plus fortement l’ovale du visage.
Il a une liaison de deux années, ponctuées par des disputes homériques.
Montparnasse est vidée par la guerre de 1914. Il dessine alors à la Rotonde, composant un lacis de traits souples, aériens, croquis qu’il donne à son modèle.
Paul Guillaume apporte une aide financière. Il a encore le soutien du poète Léopold « Zborosky ». Celui-ci vend même ses vêtements pour l’aider à survivre.
Modigliani, à cette époque, réalise une galerie de portraits où se trouvent toutes les conditions sociales. La ligne essentielle est sinueuse, variée, subtile. La couleur est franche et généreuse. Les portraits sont poignants, dotés de regards aveugles, sans pupilles représentant l’angoisse de vivre.
Période également de peinture de nus, langoureux, finement modelés ; les couleurs orangées radieuses lutinent avec les ocres sensuels sur des blancs rêveurs.
Le scandale éclate pendant le premier vernissage.
Modigliani connaît l’amour d’une Canadienne Simone « Tiroux », ensorcelée par Modigliani. Elle vit son amour, de façon enthousiaste et désespérée. Elle a de lui une enfant, dont il refuse d’être le père. Modigliani s’amourache alors d’une Polonaise. Cependant, elle reste fidèle à son mari engagé dans la légion polonaise. Elle devient néanmoins la confidente de Modigliani. Il renonce à l’alcool et à la drogue.
Jeanne « Ebuterne » a 19 ans. Douée pour la peinture, silencieuse, elle fait connaître à Modigliani l’amour du cœur, de l’âme et des sens. Il réalise de nombreux portraits.
Modigliani se massacre à la cocaïne. « Zborosky », effrayé, entraîne le couple sur la Côte d’Azur. Le 24 novembre 1919 survient la naissance d’une fille : Jeanne. Modigliani peint à Cannes. « Le paysage n’existe pas » mais il en peint deux à Marseille. Période faste car Zborosky a vendu 15 peintures au même amateur. Cependant, Modigliani retourne à Paris. A Londres, dans les expositions, il triomphe.
En 1919 il se sait perdu, comme l’indique l’autoportrait de cette époque. Dans une soirée, il chante le kaddish la prière des morts. La tuberculose a achevé de la détruire. Le samedi 24 janvier 1920 à 20h50, Modigliani expire à 35 ans, à l’hôpital de la Charité.
Jeanne désespérée, avec une grossesse presque à terme, se défenestre du 5e étage. Elle se tue pour rejoindre Modigliani dans l’éternité. »
Jean-Youri