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22 novembre 2006 3 22 /11 /novembre /2006 15:09

 

Troyes n°3 : Conférence sur Modigliani

 

 

         Les Amis des Musées de Troyes. L’association dont je suis membre depuis plusieurs années propose un ensemble de conférences sur des artistes ou des périodes artistiques concernant aussi bien l’Aube que les grands artistes de l’humanité.

 

 

         L’espace Argence est une nouvelle fois le lieu où se déroulent les conférences. Une fois gravi l’escalier en colimaçon, des panneaux fléchés guident l’auditeur vers la salle « Pause ».

 

 

         Dans la salle, l’âge moyen est élevé. Je suis un des rares jeunes parmi les têtes au chef blanchi par l’âge ou blondi par le coiffeur. Anne-Lise m’accompagne. Son sourire éclaire la salle sombre.

 

 

         Le conférencier est un homme de lettres. Maître René Vigo, ancien bâtonnier, cheveux blanchi et verbe puissant, donne sa dernière conférence. Il présente la vie de Modigliani et, ensuite, dans le silence, montre les différentes œuvres dont il a parlé dans un premier temps. C’est le point regrettable de son exposé du 18 octobre 2006. Les phrases suivantes sont le produit de quelques notes, en particulier les phrases flamboyantes de cet homme de lettres…

 

 

        

 

         « Le 12 juillet 1884, à Livourne, Modigliani est le quatrième enfant de la famille. Pendant l’accouchement la maison est saisie par l’huissier. La venue au monde est entre faste et pauvreté : une loi interdisant de saisir des objets sur le lit d’une femme en couche, Eugénia, sa mère, met l’enfant au monde dans un fouillis de chandeliers, couverts, argent et bijoux.

 

         Le surnom du jeune homme est Dedo. Il a un caractère tantôt instable, tantôt exalté. Peut-être reflet de cela, il est souvent malade.

 

         L’éducation se déroule par la famille. Son parent Isaac parle six langues ; A 14 ans Micheli est son professeur qui pratique l’art par touches colorées. Mais la tuberculose interrompt sa formation. Ses études sont poussées à Florence. Il apprécie fortement un sculpteur du XIII siècle représentant les statues avec des têtes ovoïdes. Par la suite, Venise déploie ses splendeurs mouillées pour sa jeunesse. Il s’instruit dans les églises, les musées. A 20 ans Modigliani est beau de la beauté d’un Apollon antique. Il réalise des portraits académiques pour le public, mais, dans ses carnets, il ose des touches osées…

 

         A Paris vit un creuset d’où jaillissent des formes nouvelles et agréables. Dans la capitale Modigliani loue un atelier à Montmartre. Il mène une vie de bohême, portant toujours une cravate de travers. Au sein de la ville lumière, Modigliani doute de ses avant-gardes préraphaélites. Toulouse Lautrec le déconcerte par sa ligne. Le cubisme le laisse perplexe à cause de sa géométrie cérébrale trop éloignée du sensible.

 

         Il réalise quelques essais dans la sculpture, mais la fragilité de ses bronches ne supporte pas la poussière dégagée de la pierre. Il entre alors dans un vif désarroi. Il cumule alors les excès de la boisson et les abus du « chanvre indien ». Il mène une vie de « chien mouillée », mais avec grand esprit. Picasso est agacé par les palabres fanfaronnantes de Modigliani. Max Jacob soutient Modigliani, ainsi que l’amateur d’art et docteur Paul Alexandre. Il évolue au sein d’un phalanstère d’artistes.

 

         Mais Modigliani est ivre et drogué. Les crises atteignent une telle intensité qu‘il retourne à Livourne, auprès de sa mère aimante. Malade, mais progressivement guéri, l’amour et les soins de sa mère le veille.

 

 

         Modigliani, désormais approchant les 30 ans, traverse la Seine comme on franchit le Rubicon. Il va à Montparnasse et travaille avec le feu sacré. De cette période date le violoncelliste, avec ses déformations caractéristiques et sa composition en arabesque.

 

         L’art nègre nourrit son inspiration. Brancusi le soutient. Modigliani tente à nouveau la sculpture, mais elle l’épuise.

 

         Une femme entre dans sa vie comme un torrent de flammes. Béatrice « Hastings », anglaise, poétesse. Il mène avec elle une vie frivole, agitée. Béatrice est excentrique : elle entre dans les tavernes habillées en bergère de l’époque de Louis XV. Elle est son aînée de 5 ans.

 

         Les portraits de Modigliani dessinent désormais plus fortement l’ovale du visage.

 

         Il a une liaison de deux années, ponctuées par des disputes homériques.

 

 

         Montparnasse est vidée par la guerre de 1914. Il dessine alors à la Rotonde, composant un lacis de traits souples, aériens, croquis qu’il donne à son modèle.

 

         Paul Guillaume apporte une aide financière. Il a encore le soutien du poète Léopold « Zborosky ». Celui-ci vend même ses vêtements pour l’aider à survivre.

 

         Modigliani, à cette époque, réalise une galerie de portraits où se trouvent toutes les conditions sociales. La ligne essentielle est sinueuse, variée, subtile. La couleur est franche et généreuse. Les portraits sont poignants, dotés de regards aveugles, sans pupilles représentant l’angoisse de vivre.

 

         Période également de peinture de nus, langoureux, finement modelés ; les couleurs orangées radieuses lutinent avec les ocres sensuels sur des blancs rêveurs.

 

         Le scandale éclate pendant le premier vernissage.

 

        

 

         Modigliani connaît l’amour d’une Canadienne Simone « Tiroux », ensorcelée par Modigliani. Elle vit son amour, de façon enthousiaste et désespérée. Elle a de lui une enfant, dont il refuse d’être le père. Modigliani s’amourache alors d’une Polonaise. Cependant, elle reste fidèle à son mari engagé dans la légion polonaise. Elle devient néanmoins la confidente de Modigliani. Il renonce à l’alcool et à la drogue.

 

         Jeanne « Ebuterne » a 19 ans. Douée pour la peinture, silencieuse, elle fait connaître à Modigliani l’amour du cœur, de l’âme et des sens. Il réalise de nombreux portraits.

 

 

         Modigliani se massacre à la cocaïne. « Zborosky », effrayé, entraîne le couple sur la Côte d’Azur. Le 24 novembre 1919 survient la naissance d’une fille : Jeanne. Modigliani peint à Cannes. « Le paysage n’existe pas » mais il en peint deux à Marseille. Période faste car Zborosky a vendu 15 peintures au même amateur. Cependant, Modigliani retourne à Paris. A Londres, dans les expositions, il triomphe.

 

         En 1919 il se sait perdu, comme l’indique l’autoportrait de cette époque. Dans une soirée, il chante le kaddish la prière des morts. La tuberculose a achevé de la détruire. Le samedi 24 janvier 1920 à 20h50, Modigliani expire à 35 ans, à l’hôpital de la Charité.

 

         Jeanne désespérée, avec une grossesse presque à terme, se défenestre du 5e étage. Elle se tue pour rejoindre Modigliani dans l’éternité. »

 

                       Jean-Youri 

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16 octobre 2006 1 16 /10 /octobre /2006 00:48

 

Troyes 2 : Salon du livre de la jeunesse

 

 

         Celui qui n’aimait pas écrire… tel est le titre du second ouvrage autobiographique de  l’un des auteurs exposé au salon du livre, Mickael Ollivier. Entre son enfance et son âge d’homme, quelle différence ! De même, quelle différence avec la foule empressée de jeunes et d’adultes dans l’espace Argence, où livres et hommes se disputent la place.

 

 

         En ce lieu de plaisir et de découverte, nombreuses sont les tentations : livres aux dessins doux et joyeux, vifs et colorés ; ouvrages d’érudition mais expliqués avec simplicité ; bandes dessinés ; classiques aimés comme la Jeune fille à la perle, 1984… Mes mains se hasardent, mes yeux dévorent.

 

         Un exemple de petit bijou illustré : La soupe aux cailloux, le conte connu dans tout le folklore européen est transposé dans le monde chinois. Les graphismes sont de toute beauté, et chaque détail est le fruit d’une recherche (le jaune couleur réservé à l’empereur, les instruments de musique des trois moines zen…). L’histoire est simple : comment unir un village soumis aux égoïsmes particuliers, en confectionnant une soupe dont l’ingrédient est trois cailloux…

 

 

         Le Salon du livre de la jeunesse de Troyes est désormais le deuxième en importance après Montreuil dans la région parisienne. Ce succès est mérité par le nombre d’activités proposées, d’auteurs (Claude Clément, Pierre Coran, Pef, Tibet, Jean-Paul Nozière, Thomas Scotto, et cetera)…

 

         Dans l’espace Argence, à côté de la Médiathèque de l’Agglomération Troyenne (prix d’architecture), se déroule le salon. Le long bâtiment abrite au rez-de-chaussée les rayonnages chargés d’innombrables livres suivi par un prolongement en toile où d’innombrables BD et ouvrages sont installés. Dans le bâtiment en dur, d’immenses panneaux colorés retenus au plafond par de fins fils résistants permettent de trouver là le stand religion, ici d’autres catégories.

 

         Au-delà des ouvertures pour les entrées et la sortie, se trouvent les espaces d’achats. Les queues d’enfants, d’adolescents et d’adultes s’agrémentent des cris excités, de brouhahas de conversation, des lecteurs silencieux aux bras chargés - jusqu’à l’exploit sportif - de livres.

 

         Puis, comme autant d’îlots à découvrir, de rayonnages de bois où passants et lecteurs viennent ou s’arrêtent. De chaque côté, longeant les murs, diverses activités sont proposés aux enfants. Que se trouve-t-il dans la caravane blanche aux tâches rouges en forme de nuages ? Et dans ces cabanes de plage toutes accolées les unes aux autres ? Le mystère est moins grand pour cette tente en toile où les enfants entendent un conteur. Plus haut, à l’étage, se trouvent encore des salles d’exposition, des ateliers de contes mais aussi des ateliers pour adulte comme l’atelier reliure.

 

         Au milieu de l’immense salle des abris circulaires accueillent les auteurs et illustrateurs de nombreux livres. Cette année, le choix était exceptionnel.

 

         Pour le 20ième salon du livre, l’édition était sans doute la plus belle et la plus complète depuis le festival de l’année de la Chine où dragons danseurs, pratiquants d’arts martiaux, calligraphes aux superbes dédicaces, ateliers où j’ai appris un rudiment de chinois, etc… m’avaient comblé de joie.

 

 

         Un petit mot sur les ateliers avec l’exemple de M. Cocquet qui nous a expliqué le procédé de la reliure. Cet homme aux cheveux blancs montre une force insoupçonnée lorsqu’il s’agit de retourner un des lourds instruments de bois servant à la reliure…

 

         Voyant mon intérêt pour les instruments à peine arrivé dans la salle située au premier étage, il commença son explication qui lui attira bientôt un auditoire plus conséquent. Il montra le livre à la reliure inutilisable, puis, des livrets de feuilles attachées ensemble. Il nous fit remarquer le numéro sur le cahier de feuillets, nous expliquant que ce numéro correspondait à celui des cahiers à disposer dans l’ordre avant de les relier ensemble.

 

         Les opérations sont dans l’ordre : arracher l’ancienne reliure. Opérer un grecquage (couper des incisions) dans les feuillets, puis mettre ces feuillets dans le cousoir. Cette machine en bois permet de faire passer une aiguille (qui ne perce pas pour éviter les trous dans les pages lors du retour (à l’aveugle) de cette aiguille) et son long fil à la grosseur inversement proportionnel à celle du cahier. Les feuillets sont ainsi à nouveau reliés. L’étape suivante est l’encollage, c’est-à-dire le trempage du dos des feuillets dans de la colle pour qu’ils ne puissent plus bouger. Les pages sont ensuite mises dans un instrument où, fortement serrées et maintenues, les feuilles sont rabotées au millimètre près de façon à ce qu’elles soient collectivement droites et de même dimension.

 

         M. Cocquet nous montre les différentes qualités de couverture : toile, matériau synthétique à la ressemblance du cuir, et enfin le plus noble des matières : la peau animale. Il nous explique ensuite comment il met un « dos » au livre, montrant les fils collés en « pattes d’araignées » avant de recouvrir cela d’un cache en papier blanc. Les tranchefiles (appelés parfois corsaires) sont ces fils qui maintiennent les livrets assemblés. La couverture en papier ou en peau vient ensuite, accordée au livre pour la couleur, les motifs… Il reste encore du travail pour mettre le titre, et parvenir à un bel ouvrage.

 

 

         L’importance de ce salon du livre amène des visiteurs de Troyes, de l’Aube, et même du Sud de la France (Susie Morgenstein venant de Nice, bien que d’origine américaine), et même de l’étranger (John Howe s’est déplacé depuis la Suisse)… Les files de personnes attendant pour telle ou telle dédicace s’allongeaient ou disparaissaient selon les horaires de dédicace.

 

         Ma petite sœur, venue spécialement depuis pour l’occasion devant les noms et le nombre d’invités de qualité, a une nouvelle fois allégé son compte en banque d’un montant secret. L’astuce pour ne pas dépenser plus à chaque nouveau salon ? N’acheter que ce qu’elle arrive à porter dans les bras ! Et cela fonctionne J Sa maison, léchée par les embruns océaniques, est peuplée des amis livres de haut en bas. Sur les étagères des triples rangées de livres, BD, mangas, magazines… Quelle est accueillante et intéressante cette maison ! Aujourd’hui, tant et tant de ses livres sont dédicacés… L’âme du livre s’illumine d’un nouveau sourire en forme de signature.

 

           J’ai pris plaisir à l’imiter. D’abord avec le magnifique conte de Gérard Montcomble : Sa Majesté de Nulle Part, illustré par Andreï Arinouchkine ; L’auteur, barbu grisonnant, des lunettes sur son nez, est d’une jovialité complice avec ses lecteurs. Ce fut un grand plaisir de le rencontrer. Sa dédicace, marqué du sceau de la poésie, m’égaye « dans la nuit noire, entre deux flocons de rêves ». Merci M. Montcomble. Odile Weurlesse, auteur de livres pour la jeunesse très bien écrit et documenté, mêlant histoire et aventures, me reçoit avec un grand sourire. Nous discutons et je lui demande une dédicace pour ses deux meilleurs ouvrages (à mon goût) : Le serment des catacombes et Le messager d’Athènes que j’aurais plaisir à offrir à mon neveu et à ma nièce bien qu’ils soient encore jeunes… Entre toutes les files, il est une file immense, puissante, chargée de passionnés qui insistent et persistent, malgré le retard de l’auteur. On l’attend, dans un frémissement…. John Howe, l’illustrateur de Tolkien, conseiller de Peter Jackson durant un an et demi pour la série de films le Seigneur des anneaux. J’ai apporté avec moi Sur les Terres de Tolkien.  Cet ouvrage rassemble les illustrations exposées à la MAT le vendredi 4 octobre 2002. Là, j’avais acheté ma lithographie d’Orthanc en ruine. Et, depuis aujourd’hui, sur mon livre trône un Gandalf magnifique et complice…

 

 

          Jean-Youri         

 

   

 

 

 

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8 octobre 2006 7 08 /10 /octobre /2006 18:12

 

Troyes : concert d’orgue à la cathédrale saint-Pierre saint-Paul.

 

 

 

 

         Le ciel de ma vie s’est assombri ; les orages comme les épreuves se succèdent. De cette noirceur surgissent parfois quelques instants de bonheur : la lecture, la musique…

 

         Vendredi, après une nouvelle journée pourrie, le corps est fatigué mais l’envie de rire et d’être heureux ne me quitte pas. Il faut aimer la vie pour que celle-ci vous aime… Le soir est noir comme un café fort. Touche incongrue : les lumières roses issues de petits projecteurs encadrant un bord du parvis de la cathédrale. Je dépasse cette rose de nuit pour observer ces sculptures où l’obscurité et les projecteurs pâles accusent les contrastes : le gothique flamboyant assemble les personnages à l’entrée de la cathédrale saint-Pierre saint-Paul. Peut-être une danse précédant notre concert ?

 

         A l’intérieur, sombre, des hommes en costume sombre. Des auditeurs tout comme moi. Je vais dans la nef, regardant avec des yeux d’enfants les piliers et les pilastres, les voûtes et les croisées d’ogives. La lumière remonte les hauteurs des pierres grises. L’autel sur lequel un drap blanc immaculé est posé semble veiller, attendant d’autres cérémonies. D’immenses cierges de cire jaune posés plus loin s’élèvent dans une majesté solitaire.

 

 

         Les auditeurs prennent place, plus âgés que moi pour l’écrasante majorité. J’ouvre les yeux sur l’orgue immense, illuminé. Je rêve, laisse mon esprit flotter : les fûts des colonnes et les tuyaux d’orgue ; piliers, pilastres ; tuyaux massifs et d’autres, voisins, bien plus fins. Les statues de bois de l‘instrument nimbées de lumière ; les tableaux de couleurs assombries et les statues de saints en pierre. Mon regard circule, ne s’arrête pas : une cathédrale c’est un pont vers l’infini.

 

         Une voix grave, posée… Puis les notes. Chaque note comme un pas sur ce pont menant au Ciel.

 

         Les cantates de Jean-Sébastien Bach, suivi par les œuvres de son fils Carl Philip Emmanuel Bach. De rares pièces de Beethoven… Des menuets, des cantates ; le sacré et le profane s’enlacent dans cette musique datant de l’époque de Maurice de Saxe.

 

         Un bavard à voix de basse est hélas proche de moi. Les accords les plus doux sont parfois écrasés par cette intrusion parlée dans l’instrumental. Aux autres moments je ferme les yeux, mes mains entraînées malgré moi accompagnant les plages musicales. Mes paupières se rouvrant pour voir les colonnes longues s’élever et les pilastres accolés comme autant de mouvements ascensionnels accompagnant la musique. L’Aria de Bach, si solennel, si léger ; si doux et pourtant si puissant, est le meilleur moment de cette soirée.

 

         Je ressors. Le musicien longuement applaudi et bissé. Le cœur enfin en paix dans la paix de la nuit froide.    

 

 

                  

 

         Jean-Youri 

 

 

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9 mai 2006 2 09 /05 /mai /2006 17:59

 

Rencontre d’auteur avec Charles Juliet : tentatives de notes

 

 

 

            Ecouter un auteur… Des mots prononcés qui n’appartiennent pas tout à fait à la littérature mais ne sont plus déjà des mots du quotidien. La voix même, le regard… La sensibilité humaine - rayonnant des lettres formant mots sur le papier - transparaît ici, en ce lieu où le lecteur devient auditeur.

 

 

 

            J’avais été frappé, lors de la rencontre d’auteur avec Christian Bobin, de la qualité d’écoute humaine et de l’extrême attention apporté aux êtres et aux choses par l’écrivain. Sous une autre forme, cette qualité d’écoute apparaît à nouveau. Transfiguration de la vie – comme un « œil collé sur le trou de la barrière », laissant voir la lutte de la vie, de l’herbe – pour Bobin, et ici, écoute intérieure.

 

 

 

            Troyes offre de multiples occasions de s’instruire, d’élever sa pensée. La maison du Boulanger propose des rencontres d’auteurs. Depuis la réception du carton d’invitation, mon cœur palpitait d’impatience.

 

 

 

            Qui est Charles Juliet ? Je l’ai découvert l’année précédente à travers le prêt d’ami. Mon amie professeur de français m’a appris qu’elle l’enseignait aux élèves de lycée, ceux-ci appréciaient la sincérité de l’auteur et ses phrases lumineuses et simples.

            Bien qu’admissible à l’agrégation, je n’ai pas voulu renoncer au profit de mes révisions à ce moment tant attendu. J’ai diffusé la bonne nouvelle de la rencontre à mes amis potentiellement intéressés. L’heure approchait.

 

 

 

            Florence, mon amie au regard doux et clair, m’accompagnait de sa gentillesse et de son savoir. Les maisons à pans de bois projetaient leurs ombres naissantes sur nos pas. 19h00, le 5 avril. La maison du boulanger dans la rue du XVI siècle est fermée. Nous tournons le coin, puis j’ouvre la porte de bois sombre. La cour offre son espace clos aux regards, ses pavés en pierres précédant l’escalier de bois menant au premier étage. Nous sommes en avance sur les 19h30 prévues pour la rencontre littéraire. Celle-ci doit être animée par le professeur de lycée Jean-François Nivet.

            Les murs de la salle du premier étage abritent les nombreux tableaux de l’exposition en cours. Pour une fois, je ne m’attarde pas à les contempler. Le regard frais comme une source de Florence m’incite à me pencher sur plusieurs autres points. Nous discutons de l’enfance de Charles Juliet, et de la façon dont l’œuvre et l’écrit se confondent en lui ; de combien les rapports à la mère, à l’être, à l’autre, sont liés pour forger une sensibilité  fondée sur l’attention au sentiment, à la nature. Elle m’apprend ses rapports si particuliers avec ses deux mères –adoptive et naturelle – confiées dans ses écrits. Nous parlons encore de tout ce que j’ai appris de lui, de son approche de la nature, des « années lentes » de formation… Enfin, l’héros vient.

            M. Nivet le précède. L’homme est grand, le regard exprime force et douceur, comme sa carrure. Il parle d’une voix douce, apaisante, qui nous emporte dans son monde. Florence, qui venais pourtant la veille d’assister à un spectacle, trouve cette voix plus intéressante, plus riche de vie, que celle jouée.

            Nous n’osons pas poser de question, malgré la convivialité créée par Jean-François Nivet. Là encore, c’est différent de la rencontre avec Christian Bobin où les questions avaient été si nombreuses, comme des blessures attendant leur apaisement de l’auteur dont les livres guérissent. De mon côté, je comprenais que pour Charles Juliet, œuvre et vie se rejoignent. Non pas dans une intimité impudique, au contraire, comme une ascension vers l’universel par la vie d’un homme.

 

 

 

 

 

 

            Voici les notes prises lors de la rencontre littéraire.

 

 

 

Jean-François Nivet, professeur au lycée Edouard Herriot. Calme et convivial, il signale que cette rencontre marque les dix ans de : « Des auteurs une rencontre ». Puis, il demande à Charles Juliet équipé de son micro de raconter…

 

 

 

1/ J.-F. Nivet : « Sa voix, comme le Journal, occupe l’espace entre gris et lumière… »

 

 

 

Charles JULIET : Il a commencé à écrire à 23 ans. C’était en lui une nécessité impérieuse d’écrire. Il ne disposait pourtant d’aucune culture, n’ayant lu que 4 à 5 livres jusqu’à l’âge de  23ans car vivant dans un milieu paysan.

« On ne peut être écrivain sans une solide culture » constate-t-il. La lecture fut alors sa principale activité pendant de nombreuses années. Malgré cela il n’arrivait pas à écrire, du fait d’émotions trop violentes, de l’impatience de sa jeunesse, d’un sentiment de confusion. Enfin, il était écrasé par l’admiration des écrivains. Encore aujourd’hui, il demeure en lui une haute idée de l’art.

            Aussi, pratiqua-t-il l’écriture de son Journal : des notes très brèves : fragments et poèmes.

            Il mit longtemps à comprendre ce qu’il cherchait à l’aide de l’écriture : travailler à se connaître, à se transformer.

           

            Il devait aller au-delà de la personnalité de surface créée par le milieu familial, les onze ans comme enfant de troupe (de 12 à 23 ans). Il recherche l’élimination de cette personnalité de surface. Pour devenir celui qu’il était : inconnu, il fallait le « désenfouir », le faire naître. Les années passant, il clarifie sa confusion, s’unifie. Progressivement, il peut écrire.

            Charles Juliet entretient une aversion face à ma poésie trop mièvre. Il témoigne de la fidélité à ses perceptions, qu’il retranscrit le plus simplement, le plus sobrement possible.     

            Ses écrits sont autobiographiques car il veut clarifier, mettre de l’ordre, en lui. La difficulté de vivre c’est de se traduire intérieurement. L’écriture représente alors un instrument pour se construire.

 

 

 

2/ J.-F. Nivet : Le mot « mot » apparaît  souvent.   Il existe comme une difficulté à maîtriser le terme « mot ». On trouve aussi un effet miroir dans Lambeaux, entre la mère et le fils : la mère dans l’asile écrit jusque sur le mur, comme lui dans l’année de l’éveil.

 

 

 

Charles Juliet : Il éprouve beaucoup de difficultés à écrire. Ce qu’il ressent se trouve à une grand distance de ce qu’il a à exprimer.

 

 

 

3/ J.-F. Nivet : Il faut faire attention à l’utilisation des mots dans la vie courante car ils s’usent.

 

 

 

Charles Juliet : Le « mot », l’écrivain cherche à leur redonner de la fraîcheur dans une société où les mots sont galvaudés. Il éprouve un besoin d’écrire des mots simples et très classiques.

 

 

 

4/ Charles Juliet : Il a été publié suite à la démarche d’un écrivain suisse, rencontré à Genève. L’écrivain lui fait la proposition d’écrire un livre, or cela est arrivé au moment où il se sentait prêt. La maturation étant opérée. Le livre paru en Suisse, c’était important aussi car Charles Juliet a été élevé par une famille suisse en France.

 

 

 

5/ Charles Juliet : Il commence par publier un Journal. Bernard Noël l’aide pour la publication. Le directeur de publication de Flammarion garde six ans avec lui le livre. Lorsqu’il change de maison d’édition, il publie le Journal.

 

 

 

6/ Charles Juliet : Six tomes de ce Journal paraissent. Les deux premiers tomes sont très sombres. Rapidement, des lettres des lecteurs indiquent que ce Journal « aide ».

« Les mots qui peuvent aider quelqu’un sont des mots qui rejoignent la solitude de quelqu’un, à entrer en contact ».

 

 

 

7/ J.-F. Nivet : dans les livres, on trouve une très grande cohérence. Une recherche a été entreprise de cohérence intérieure. De plus en plus de rencontre avec des auteurs, avec les lecteurs, ont été faites. En mai 1968, il rencontre Beckett.

 

 

 

Charles Juliet : Beckett a de grandes affinités avec ses personnages. Il rencontre le dramaturge par l’intermédiaire de son ami peintre Bram Van Velde. Beckett est très impressionnant : grave et silencieux. Quatre rencontres se déroulent. Beckett dit des choses très fortes.

« J’ai l’impression d’avoir été assassiné, assassiné avant ma naissance ».

            Jusqu’en 1946 Beckett n’avait pas réussi à écrire. Puis, il a tout écrit de 1946 à 1950.

 

 

 

8/ J.-F. Nivet : Beckett l’a démoli », car il le tire vers la noirceur.

 

 

 

Charles Juliet : Beckett… Il existe une influence mortifère de l’homme et de l’œuvre. Charles Juliet a senti qu’il fallait qu’il s’éloigne. Ceci, malgré les propositions de Beckett de revenir le voir.

 

 

 

9/ J.-F. Nivet : Charles Juliet a écrit Un lourd destin, une évocation de Friedrich Hölderlin.

 

 

 

 Charles Juliet : A Tübingen, il commence à écrire L’Année de l’éveil. Le personnage d’Hölderlin sombre dans la folie. Durant ces mois il s’imprègne de sa présence.

            Il y’a 3-4 ans il écrit une pièce. Chose simple : il s’agit d’une vision d’Hölderlin par son frère, sa sœur, etc…

            Charles Juliet a été touché par sa correspondance : des lettres d’une grande simplicité, clarté, humilité.

            Le personnage a été beaucoup abîmé par la vie. Charles Juliet ressent beaucoup d’empathie pour ce personnage.  

 

 

 

10/ J.-F. Nivet : L’Année de l’éveil est apparu à maturation lors du séjour à Tübingen ?

 

 

 

Charles Juliet : Il n’y a pas de rapport entre maturation et Hölderlin. Mais il a perçu de nombreux points communs entre sa vie et celle de Charles Juliet.

 

 

 

11/ Charles Juliet : Avec L’Année de l’éveil Charles Juliet rencontre le grand lectorat.

Il se souvient avec nostalgie … En tant qu’enfant de troupe il a connu une belle fraternité.

 

 

 

Lecture « amitié entre nous c’est une nourriture affective de la plus grande importance. Mais alors je ne le savais pas » « J’ai été long à faire le deuil de cette fraternité perdue ».

12/ J.-F. Nivet : Il a l’impression que Charles Juliet ne souhaite garder que les impressions positives.

 

 

 

 

 

Charles Juliet : Il a la nostalgie de la fraternité. Les premières années ont été difficiles avec le froid, al faim, les brimades des anciens.

Aix-en-Provence : il revient souvent dans son Journal sur ces années profondes. 

Il a mis des années à se libérer de celles-là.

 

 

 

13/ J.-F. Nivet : Lambeaux. Il y ‘a dans ce livre une manière de ressusciter le passé par le tutoiement, un effet de miroir très troublant.

 

 

 

Charles Juliet : Il ne pensait pas écrire ce récit. Il parle de ses deux mères : naturelle et adoptive. Il a été séparé de sa mère à un mois car elle subissait une dépression. Elle a été mise dans un asile, au contact avec les malades… Pendant la Seconde Guerre mondiale les Allemands ont fait mourir de 40 à 60 000 personnes de faim dans les hôpitaux psychiatriques. Sa mère est morte de la faim en 1942.

            Dans le milieu paysan on ne parle pas d’émotion, de sentiments.

            A 15-16 ans il éprouve l’envie d’écrire une lettre qu’il n’avais jamais écrit : cela sera Lambeaux. Il utilise le tutoiement comme s’il écrivait un livre.

            Sa famille adoptive lui a apporté beaucoup d’affection. Son besoin d’écriture est né de cela. C’est un moyen de lui (à sa mère) prêter sa voix pour lui donner plus que des lambeaux de vie.

 

 

 

2e lecture : celle d’un poème écrit à l’époque de Lambeaux.

 « Forêt pétrifié par l’hiver »

« Ses joues saignent coupée par des larmes de pierre »

Poème plus récent :

« L’ennui alourdit le silence »

 

 

 

14/ J.-F. Nivet : Dimension esthétique des écrits de Charles Juliet, marquée par les peintres.

 

 

 

Charles Juliet : Il a té marqué par la correspondance de Vincent Van  Gogh, par le peintre Bram van Velde qu’il a rencontré. Celui-ci est né en France, c’est un homme très silencieux, solitaire. Il est allé le voir sans s’avoir ce que c’était : petit à petit avec les rencontres s’est faite sa perception du langage de la peinture.

            Cézanne : sa passion pour la peinture allait de pair avec sa passion pour l’absolu. Il a peint non selon des règles, mais selon ses perceptions, avec recherche.

            Charles Juliet se sent très proche de lui. Le chinois Chi Tao est un peintre du XVIII siècle vivant une expérience similaire à celle de Cézanne.

 

 

 

15/ Charles Juliet : Charles Juliet est attiré par les expériences orientales.

            Il a éprouvé le besoin de se faire confirmer ce qu’il pensait, car il n’osait pas penser ce qu’il pensait : aussi a-t-il puisé dans la pensée taoïste de Ching Tseu ( ?). Charles Juliet se sent alors moins seul, car il connaît des expériences similaires à la sienne.

 

 

 

16/ Charles Juliet : Les livres qui l’accompagnent au quotidien sont nombreux.

Ce sont des livres qu’il relit : Il est d’ailleurs triste de ne plus pouvoir faire de découvertes. Il relit la Bible, l’Ecclésiaste, Jonas Salter ( ?) : Un bonheur parfait

 

 

 

Dernière lecture : Litanie sur les voix (détail amusant, alors que lui-même à la voix abîmée par une angine)

« Les voix fraîches, franches, limpides. »

« Les voix trop graves, pierreuses, monolithiques ».

 

 

 

            Je me rends bien compte combien ces quelques notes - prises avec enthousiasme mais séparées de leur retranscription par la nécessité de réviser l’agrégation – sont frustrantes car incapables de redonner la voix même du poète, et son regard porté sur nous comme notre regard se posait sur lui. L’émotion partagée par le public je ne puis que vous la laisser deviner en vous laissant puiser à la plus belle source : à l’œuvre même de Charles Juliet.

 

 

 

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